Quelles modifications pour l’Europe


Mais le seul projet à cette date qui prétende apporter quelque modification que ce soit au gouvernement économique de l’Union européenne, le traité de Lisbonne, se présente hélas comme une réforme conservatrice de celui-ci, au double sens du terme. Il ne change pas l’architecture actuelle des institutions de politique économique et ne portera donc pas remède à ses graves lacunes. Mais il confirme aussi son orientation structurellement restrictive : il renforce l’indépendance de la BCE, y compris, par défaut, dans le domaine de la politique de change sans renforcer simultanément sa responsabilité et il durcit la discipline budgétaire sans ouvrir la voie à la coopération. Ce dernier point est particulièrement important. En effet, le policy mix européen (la combinaison des politiques budgétaires et monétaire) consiste jusqu’à présent dans la simple juxtaposition d’une politique monétaire souvent restrictive, ou en tout cas trop peu accommodante (qui a tendance à allonger les récessions et à abréger les reprises), et de politiques budgétaires nationales qui, agrégées, sont excessivement expansionnistes, en tout cas dans les phases de reprise. Un meilleur dosage et une meilleure coordination des deux instruments, fixant collectivement les grandes orientations des politiques budgétaires et fiscales, évitant les stratégies nationales opportunistes et promouvant un dialogue véritable avec la BCE, permettraient certainement à la zone euro de bénéficier à la fois d’une croissance plus forte, de finances publiques plus saines et soutenables et de modèles sociaux plus faciles à réformer. Or, le projet de traité de Lisbonne ne traite aucune de ces questions. Seul le versant punitif de l’imparfaite coordination européenne est renforcé : la Commission européenne pourra désormais adresser directement un avertissement à l’Etat qui dévierait des Grandes orientations de politique économique (GOPE) sans devoir passer par le Conseil. De plus, lorsque le Conseil décidera d’adresser des recommandations à un Etat, celui-ci ne prendra pas part au vote. De même, la fameuse procédure dite des « déficits excessifs » du Pacte de stabilité et de croissance sera durcie : là aussi, la Commission pourra court-circuiter le Conseil pour mettre en garde un Etat qu’elle jugerait La crise globale, entre inégalités américaines et inefficacité européenne 113 laxiste (ce qui ne manquera pas d’arriver…). Enfin, le Conseil se prononcera désormais sur l’existence d’un déficit excessif et sur le déclenchement de la procédure de sanction à la majorité ordinaire (représentant au moins 65 % de la population de la zone euro). Le gouvernement économique européen – c’est-à-dire les institutions, les objectifs et les instruments de la zone monétaire régionale qui rassemble les pays partageant la monnaie unique européenne – avait été, on s’en souvient, réduit à la portion congrue dans les débats par ailleurs animés des sessions de la Convention sur l’avenir de l’Europe, puis lors de la Conférence intergouvernementale (CIG) de 2004. Ce qui apparaissait à l’époque comme une occasion manquée fait aujourd’hui figure de lourde faillite collective. Une zone monétaire sans politique économique cohérente est en réalité une collection de petits pays, qui sont mécaniquement incités à entrer en concurrence fiscale et sociale les uns avec les autres.


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